1er juillet 2010 Bruxelles Mm Maria Damanaki, Commissaire Européenne aux Affaires Maritimes et à la Pêche.
Chère Mm Damanaki,
Vous devez vous souvenir de mon courrier du 27 mai au nom de Western Sahara Resource Watch (WSRW) à propos de l’accord de partenariat UE-Maroc dans le domaine de la pêche, posant un certain nombre de questions relatives à la légalité de cet accord au regard du droit international dans la mesure où il s’applique aux eaux du Sahara Occidental. J’ai récemment reçu une réponse à ce courrier, écrit en votre nom par M. Pierre Amilhat, directeur des affaires et marchés internationaux de DG MARE. Mon courrier du 27 mai et la réponse de M. Amilhat le 23 juin sont joints en référence.
Je vous écris à nouveau pour exprimer la forte préoccupation de WSRW au sujet du contenu de la réponse de M. Amilhat et en particulier sa complète déformation des principes juridiques pertinents applicables à l’exploitation des ressources naturelles d’un Territoire Non Autonome. Une telle déformation est indicative des efforts actuels des services de la Commission Européenne pour occulter les obligations juridiques internationales de l’UE au profit d’impitoyables intérêts économiques dans la pêche au Sahara Occidental. Ceci est totalement inacceptable, et va complètement à l’encontre de la politique affichée de l’UE de soutien aux efforts de l’ONU dans la résolution de ce long conflit entre le Maroc et le Front POLISARIO sur le Sahara Occidental.
En utilisant une citation tronquée de l’avis juridique de 2002 du conseiller juridique de l’ONU M. Hans Corell, M. Amilhat a cherché à limiter la portée des activités illégales à celles conduites « au mépris des besoins et des intérêts du peuple du Territoire ». Bien qu’il soit clair que même cela n’est pas atteint dans le cadre des activités de pêche de l’UE dans les eaux du Sahara Occidental, je souhaite attirer votre attention sur le paragraphe conclusif de l’avis de M. Corell :
« Il faut donc conclure que, … si des activités de prospection et d’exploitation devaient être entreprises au mépris des intérêts et de la volonté du peuple du Sahara occidental, elles contreviendraient aux principes de droit international applicables aux activités … des territoires non autonomes. » [1] (Nous soulignons)
La question de « la volonté » du peuple du Sahara Occidental est centrale ici. En omettant de consulter, et d’avoir l’assentiment du peuple Sahraoui, y compris par le biais de leur représentation politique légitime, internationalement reconnue et acceptée, le Front POLISARIO, l’Union Européenne pratique la pêche dans un mépris flagrant de ses obligations au regard du droit international de respecter la souveraineté permanente du peuple Sahraoui sur ses ressources naturelles. WSRW relève à cet égard les conclusions pertinentes du service juridique du parlement européen sur la question, publiées en juillet 2009 :
« La conformité avec le droit international exige que les activités économiques relatives aux ressources naturelles d’un Territoire Non Autonome soient menées aux bénéfices du peuple du Territoire et en conformité avec leurs souhaits. » [2] (Nous soulignons)
S’il y avait le moindre doute sur cette question, l’ancien Conseiller Juridique de l’ONU M. Hans Corell a récemment clarifié le sens de son avis de 2002 au Conseil de Sécurité rapportant à l’Accord de Partenariat UE-Maroc dans le Domaine de la Pêche :
" Il m’a été suggéré que l’avis juridique, prononcé par moi en 2002, avait été invoqué par la Commission européenne en appui de l’accord de partenariat dans le secteur de la pêche. [8] Je ne sais pas si cela est vrai. Mais si c'est le cas, je trouve incompréhensible que la Commission puisse trouver un soutien dans l'avis juridique, à moins bien sûr que la Commission ait constaté que le peuple du Sahara Occidental a été consulté, et a accepté l'accord et la manière dont les profits de l'activité lui revient. Cependant, un examen de l'accord conduit à une conclusion différente. […] En toutes circonstances, j'aurais pensé qu'il était évident qu'un accord de ce type qui ne fait pas de distinction entre les eaux adjacentes au Sahara Occidental et les eaux adjacentes au territoire du Maroc constituait une violation du droit international”.[3]
Après quatre années passées à faciliter la pêche des navires de l’UE dans les eaux du Sahara Occidental, la Commission Européenne n’a jamais consulté le peuple Sahraoui ou le Front POLISARIO, ni n’a démontré comment les bénéfices découlant de ses activités de pêche allaient vers le peuple Sahraoui. En tant qu’exploitante des ressources en question, ces obligations incombent à l’Union Européenne, et non uniquement au Maroc. À cet égard, WSRW tient à réaffirmer la conclusion du Service Juridique du Parlement Européen dans son avis juridique de juillet 2009 :
“Dans le cas où il ne pourrait pas être démontré que l’accord de pêche a été mis en application en conformité avec les principes du droit international concernant les droits du peuple Sahraoui sur ses ressources naturelles, principes que la Communauté est tenue de respecter, la Communauté doit s’abstenir d’autoriser ses navires à pêcher dans les eaux au large du Sahara Occidental en ne demandant des permis de pêche que pour les zones de pêche situées dans les eaux au large du Maroc.” [4] (nous soulignons)
Avec les négociations sur un possible renouvellement de l’accord de pêche prévues pour la deuxième moitié de cette année, et pour s’assurer du respect du droit international à l’avenir, WSRW demande que la Commission Européenne adéquate reçoive l’instruction immédiate de modifier la mise en application de l’accord de pêche pour s’assurer que les navires de l’UE ne pêchent pas dans les eaux du Sahara Occidental, et obtiennent l’exclusion des eaux du Sahara Occidental de la zone géographique du protocole de l’accord de pêche.
WSRW cherche d’autre part une clarification immédiate sur votre position sur la légalité des activités de pêche de l’UE dans les eaux du Sahara Occidental à la lumière des principes juridiques applicables, tel que détaillés ci-dessus, incluant le plus récent avis du service juridique du Parlement Européen.
Pour finir, WSRW vous demande de répondre à la question suivante du courrier du 27 mai 2010, qui reste sans réponse : L’ambassadeur Landáburo fait référence à des conseils « d’institutions indépendantes » qui montrent la légalité de l’accord. Quelles sont les institutions auxquelles se réfère l’ambassadeur ? Avez-vous vu ces conseils ? Nous vous prions de bien vouloir nous transmettre ces conseils mentionnés par M. Landáburo.
Sincères salutations,
Sara Eyckmans Coordinatrice Western Sahara Resource Watch
Cc:
- Les Représentations Permanentes des Etats Membres de l’Union Européenne - Bureau du Sous Secrétaire Générale aux Affaires Juridiques et Conseil Juridique des Nations Unies, Patricia O'Brien - L’ancien Conseiller Juridique de l’ONU, M. Hans Corell - Tous les membres des commissions Pêche, Développement, Budget et Affaires Etrangères du Parlement Européen - l’Ambassadeur de l’Union Européenne au Maroc, M. Eneko Landaburu - Direction Générale des Affaires Maritimes, et le Directeur de la pêche pour les affaires et marchés internationaux, M. Pierre Amilhat
Notes : 1. Courrier du 29 janvier 2002 du Sous Secrétaire Général au Affaires Juridiques, le Conseil Juridique, adressé au président du Conseil de Sécurité, UN Doc. S/2002/161, 12 février 2002, téléchargeable https://www.wsrw.org/files/dated/2009-05-21/avis_corell_2002.pdf. 2. Avis juridique du Service Juridique du Parlement Européen, Document SJ-0269/09, 13 July 2009, Paragraph 38.9. 3. Ambassadeur Hans Corell, La légalité de l’exploration et exploitation des ressources naturelles au Sahara Occidental, discours pour la conférence sur le Multilatéralisme et le droit international avec le Sahara Occidental comme étude de cas, organisé par le département Sud Africain des Affaires Etrangères et l’université de Pretoria, Pretoria, Afrique du Sud, 4 et 5 Décembre 2008, téléchargeable (en anglais) . (VF sur wsrw.org) 4. Avis juridique du service Juridique du Parlement Européen, Document SJ-0269/09, 13 July 2009, Paragraphe 38.9.
L'UE envisage de payer le Maroc pour pouvoir pêcher au Sahara Occidental occupé à partir de 2013. L'Accord de Pêche UE-Maroc serait à la fois politiquement controversé et en violation du droit international. La campagne internationale Fish Elsewhere! ("Allez Pêcher Ailleurs!") demande à l'UE d’éviter de telles opérations totalement immorales, et d'aller pêcher ailleurs. Aucune pêche ne devrait avoir lieu au Sahara Occidental avant la résolution du conflit.